Le bien-être des citoyens (1re partie) : Les algériens entre surendettement et promiscuité

Les Algériens se sentent-ils bien dans leur peau, sinon accèdent-ils au “BNB”, le bonheur national brut ? La question s’est avérée ardue dans un pays riche, traversé par une multitude de bouleversements, qui récolte fractures et frustrations.

out le monde convient que l’environnement global est devenu pesant pour tous. Les explications ne manquent pas à ce sujet, jamais sans critiques. Pour les uns, il n’y a qu’à scruter ces visages tristes et angoissés dans la rue ou ces regards hagards et tourmentés, surtout à la fin du mois, à l’approche de la rentrée scolaire, du mois de Ramadhan, des périodes de fête et de vacances. Pour d’autres, le malaise est le résultat d’un état des lieux général des plus accablants.

Mais, la réalité est têtue. Beaucoup d’Algériens, salariés, étudiants, diplômés, chômeurs, célibataires, mariés ou veufs, jeunes ou moins jeunes, gagnés par la désillusion et la démission, ont un quotidien habillé de solitude, d’ennui, de contrariétés et de violence aux facettes variées. Ils se sentent abandonnés et exclus des décisions qui concernent leur société et leur avenir. L’exil, ils l’ont expérimenté d’abord en Algérie. Pour Yacine, 27 ans, la seule chose qui compte maintenant est de s’installer à l’étranger.

Agent dans une société privée et percevant tout juste le SNMG, l’enfant de Bachdjarah en a marre de “tourner” dans le trois pièces cuisine de ses parents avec ses quatre frères et sœurs. “Je n’ai aucune intimité à la maison et avec mon salaire de misère, je ne peux pas faire grand-chose”, concède-t-il. Comme beaucoup de jeunes, Yacine détient un téléphone portable et rêve de posséder rapidement un logement et une voiture. Le jeune brun affable estime également qu’il a le droit de vivre “dignement mieux”.

Aussi, veut-il tenter sa chance ailleurs, se faire de nouveaux amis et surtout s’éloigner de ce quartier encombré continûment par des drogués et, parfois, des alcooliques. “Je n’ai pas envie de finir comme eux ni comme ces trois jeunes du quartier qui sont montés récemment au maquis”, révèle-t-il. Aujourd’hui, Yacine se dit soulagé parce que son père, jusque-là opposé à son projet d’exil, a accepté cette idée. “C’est mon père lui-même qui m’encourage maintenant à partir, il a compris qu’on ne veut plus de nous ici, que les richesses du pays ne sont pas réservées aux gens simples comme nous”, soutient-il, en marmonnant énervé : “Ce pays qui m’a vu naître me pousse vers la sortie.”

Zahia, quant à elle, accède cette année à l’université. Enfant unique, la jeune fille, enveloppée dans un hidjab sombre, se définit comme “une victime” de la décennie noire. “À un moment donné, mon père ne rentrait plus à la maison par crainte d’être assassiné par les islamistes. Il a connu une autre femme qu’il a épousée et avec laquelle il a deux enfants. Ma mère ne s’est pas remise du choc et vit mal son divorce”, raconte-t-elle. Pour Zahia, le transfert d’El-Biar vers Bab El-Oued, chez sa grand-mère maternelle, a bouleversé sa vie. Il y a de quoi ! Zahia, Assia, sa maman et sa grand-mère partagent la même chambre, tandis que les autres pièces sont occupées par ses trois oncles avec leur famille respective. Au total, 15 personnes évoluent dans un F3, devenu depuis peu un F4 après la transformation du balcon en cuisine.

Cette promiscuité et tous les problèmes qu’elle engendre sont stressants pour la jeune étudiante qui semble aussi rongée par la culpabilité. Zahia ne sait pas très bien, en effet, s’il faut en vouloir le plus à ce père “démissionnaire”, enseignant dans le moyen, qui se consacre à présent à sa seconde famille, à “la faiblesse” de sa mère qui “n’a pas su le retenir” ou à sa grand-mère qui a accueilli tout ce monde sous son toit. “Je ne supporte plus cette cohabitation ni les ingérences de mes oncles et de ma grand-mère. Je rêve de partir un jour, en France, chez mon oncle paternel”, finit-elle par lâcher.

“Les Algériens ne vivent pas pour eux-mêmes”

Zahia est-elle égocentrique ? Non, répond-elle vivement, en mesurant son “impuissante devant tant de contraintes”. Comme beaucoup d’Algériens, elle a appris, jure-t-elle, à se focaliser sur “ce qui va de travers au lieu de bouger”. “Pour beaucoup de gens de l’immeuble et du quartier, il n’y a pas grand-chose à faire, à part la télé, les visites au cimetière, la mosquée, les cafés et le domino”, se défend-elle.

La jeune fille avoue néanmoins qu’elle n’a pas appris à “bouquiner pour (s’)évader par les livres”, comme font certains, et qu’elle ne peut pas rencontrer tout le temps ses amies, en dehors des cours, par manque de moyens. Zahia admet en outre en vouloir “beaucoup” à sa maman, couturière à domicile et pâtissière à temps partiel, en refusant l’expression de “fille gâtée”. “Elle travaille trop, il y a toujours un ou deux de mes oncles au chômage. C’est ma mère et je ne peux même pas lui parler normalement ni me confier à elle, comme je le fais avec notre voisine Ouahiba”, explique-t-elle, indiquant que cette dernière, une veuve sans enfant, l’a prise en affection et l’autorise à réviser ses cours chez elle.

Contrairement à Zahia, Fariza, 25 ans, étudiante en journalisme, semble plus sûre d’elle. Son âge, les conditions dans lesquelles elle vit, son entourage, ses sorties avec les amis, les lectures, les voyages qu’elle effectue de temps en temps et ses “choix assumés” dans la vie, même celui d’être “une musulmane et une pratiquante à (sa) manière”, explicitent son épanouissement. “Je suis bien chez mes parents et mes amis. Pour le reste, il faut faire avec”, témoigne-t-elle. Pourtant, même Fariza, dont l’une des devises est de “vivre avec les autres pour trouver son équilibre, non pour les autres”, n’est pas insensible à la dégradation environnante. “On dirait que cette situation d’anarchie, de bureaucratie, de piston, de laisser-aller, de saleté, d’absence de civisme et d’économie informelle profite à tout le monde”, note-t-elle. Selon elle, les réalisations accomplies, sur le plan des infrastructures et du mode de vie, de même que les changements opérés socialement, sanitairement et dans le système éducatif, sont comme “errih fichbek (un coup d’épée dans l’eau), tant que les épreuves passées ne sont pas capitalisées et tant que les mentalités ne suivent pas.

La preuve, dit-elle, la société reste “fermée” et rejette “la différence, par peur ou par incompréhension”. “Les Algériens sont dans une position d’out-side, ils font semblant d’être ce qu’ils ne sont pas, parce qu’ils vivent pour les autres”, insiste la jeune fille. Pour illustrer ses dires, elle se remémore certains étudiants, qui ont une petite copine qu’ils aiment pourtant et avec qui ils ont des rapports poussés, qui s’en vont chercher à la fin “la fille sérieuse pour se marier et pour faire plaisir aux parents”.

“Dans la société algérienne, il faut entrer dans le moule, sinon garder le silence pour conforter l’avis dominant”, synthétise-t-elle, rappelant les accusations gratuites et la violence verbale chez des étudiants en information et en communication, lors des discussions sur les fléaux de société ou sur l’affaire des caricatures du Prophète Mohammed. Et Fariza d’ajouter : “Sincèrement, je ne me reconnais pas dans les nouvelles valeurs, comme l’apparence et le matériel, qui piétinent sur la compétence, le travail et la valeur humaine.”

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Hafida Ameyar

This entry was posted on Vendredi, octobre 19th, 2007 at 16:13 and is filed under Société. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.