Le bien-être des citoyens (2e partie) : Le sport, l’art et la culture pour réapprendre à vivre

L’épanouissement de l’individu ne s’arrête pas à son tube digestif. Le recours à des “recettes”, telles que la pratique du sport et l’intérêt à l’art, ne trompe plus personne.

Il y a quelques années, un groupe de personnes faisait du jogging, dans la forêt de Bouchaoui, à une trentaine de kilomètres de la capitale, pour évacuer le stress et se maintenir en forme. Au début, Nacer Ferrag, enfant de Staouéli et ex-coureur d’athlétisme, courait avec des copains à lui. Sur demande du groupe, il est devenu son entraîneur attitré. Aujourd’hui, le groupe s’est agrandi et a même créé l’association Bouchaoui Athlétique Club (BAC), dont les missions se sont étendues à d’autres activités.

Sur les 150 membres qui la composent actuellement, 14 sont des femmes, dont Saïda Younsi, mère de deux garçons. Cette dernière a remporté plusieurs médailles pour le club, au même titre que d’autres membres, dont Nacer. Étant médecin, Saïda a aussi gagné des médailles pour l’Algérie, en particulier aux Jeux mondiaux de la médecine et de la santé, qui se sont tenus à Agadir (Maroc) en juin dernier.

Beaucoup de choses unissent les membres de ce club, d’abord la passion pour le sport et les compétitions. Il y a également les randonnées pédestres et à vélo, à travers le pays, les barbecues familiaux, les visites dans les musées et les sites archéologiques et tous ces liens qui se tissent au fil des années, où la solidarité est présente. “C’est dur de vivre seul ou de se sentir seul”, confie Saïda. Pour Nacer, le groupe a réussi à “créer (son) propre environnement”, donnant plus de piment à la vie de chacun. Quant à Mohamed, un retraité de 65 ans, il est heureux de la prise de conscience de ses concitoyens de “l’importance de la préservation du corps et de la santé. Depuis 3 ou 4 ans, des femmes et des hommes, beaucoup plus nombreux, viennent courir le vendredi, à Bouchaoui. Il y a même des femmes en hidjab”, déclare-t-il.

Effet de groupe ou tendance de société ?

Qu’elles soient voilées, en jupe ou en pantalon, quels que soient leur niveau d’instruction ou leurs conditions de vie, beaucoup d’Algériennes s’intéressent, en effet, au sport. Il n’y a qu’à le constater de visu, notamment au centre féminin de Ben Aknoun, à la piscine du 1er-Mai, au complexe sportif de Boumerdès et dans bien de salles de sport, dont le nombre a littéralement explosé dans les centres urbains. Cette activité assure aux femmes des sorties et leur permet de rencontrer d’autres gens, d’évacuer leurs problèmes et les pressions sociales, le temps d’une séance.

Mais, l’image du corps, rehaussée par un teint de pêche, est devenue importante, à leurs yeux. Effet de société ou de groupe, résultat du “travail de marketing” des chaînes télévisées étrangères, des sites Internet et de la radio algérienne, ou prise de conscience des vertus du sport, ceux-ci ont encouragé l’émergence d’activités sportives, autres que le football, réservées à la gent masculine.

Des Algériens, femmes et hommes, fréquentent de plus en plus les salles de sport et les piscines ou investissent les stades et les espaces libres pour faire de la marche ou du footing. Si les hommes optent majoritairement pour les exercices d’endurance et de musculation, les femmes, elles, préfèrent l’aérobic, le stretching, la natation et parfois “un peu de musculation”. Même ceux qui ne pratiquent aucun sport encouragent leurs enfants à s’investir dans “le monde oxygéné” de l’effort musculaire. “Les gens ont besoin d’exemple, ils finiront par s’habituer à voir des femmes et des hommes courir ou même à vélo”, estime une mère de famille.

Selon elle, l’environnement et les fréquentations sont importants, surtout pour la jeunesse, qui “doit sortir de l’ennui, déloger les mauvaises idées et retrouver son enthousiasme”. Notre interlocutrice fait aussi observer que le recours “massif” aux mosquées, par les jeunes, est dû à “l’oisiveté” et à “l’effet de groupe”, en s’appuyant sur le cas de son propre fils, un lycéen de 17 ans. “Auparavant, il faisait la prière à la maison et se rendait à la mosquée les vendredis. Comme il tournait en rond, sans but précis, il a commencé à y aller plus souvent pour se retrouver avec les gens du quartier”, explique-t-elle. Qu’est-il advenu de son garçon ? “Son père et moi sommes plus attentifs après l’attentat du jeune kamikaze.

On a beaucoup discuté avec notre fils en lui interdisant d’aller seul à la mosquée. On a aussi satisfait une de ses requêtes en l’inscrivant dans une salle de musculation”, soutient-elle, en ajustant son voile. Samir, la quarantaine, avoue, quant à lui, que le sport lui a évité “bien des dérives” après le travail, en faisant allusion à la cigarette et à la drogue, à l’agressivité et aux commérages ayant cours dans les cafés. Il déplore pourtant le recul de la pratique du bénévolat et des “campagnes de volontariat”, alors qu’ils permettent à l’individu de “se rendre utile et (de) gagner en estime”.

Youcef, Karim et les autres…

Youcef, un ancien senior de l’équipe de football de Bab Ezzouar, est toujours accro du ballon malgré une ancienne blessure à la jambe. Il a même gagné trois attestations d’éducateur sportif délivrées par l’institut d’Aïn Benian. Grâce au président du Club sportif amateur (CSA), le jeune homme de 35 ans a pu accéder à une formation supérieure d’éducateur sportif pour les jeunes de la localité. Des sessions de 15 jours ayant débuté en 2006 et qui s’achèveront fin octobre 2007.

Agent dans une entreprise privée et célibataire, Youcef ne manque ni d’énergie ni d’ambition. La preuve, il entraîne, depuis quelques mois, des garçons de 12 et 13 ans au stade du 5-Juillet de Bab Ezzouar.

Cela lui permet de relever un peu son “salaire de misère” en aidant les minimes tout en continuant à s’entraîner. “Je veux poursuivre mes études en sport, faire le 2e degré pour travailler avec les seniors”, dit-il. Il révèle son désir de quitter la boîte où il exerce pour mieux se consacrer au foot. S’il arrive, bien sûr, à “gagner beaucoup d’argent” ! L’enfant populaire de Bab Ezzouar pense que “le sport représente une occupation saine et aide à l’intégration des jeunes”, notamment les victimes de la déperdition scolaire, en leur permettant “de se forger un caractère et d’être ouverts aux autres”.

Il est en outre conscient du pouvoir qu’il exerce sur ses minimes. “Le travail de proximité et la relation de confiance avec les jeunes sont déterminants”, reconnaît-il. Il compte suivre de très près les résultats scolaires des garçons dont il a la charge et de se présenter chez leurs parents en cas d’absence. “Il faut des passerelles entre l’école et le sport”, déclare-t-il. Alors, Youcef est-il comblé par la vie ? “On n’a pas toujours ce qu’on veut, mais on se sentirait mieux si les richesses du pays profitaient à tout le monde”, lance-t-il en souriant.

Pour Karim, 34 ans, c’est en revanche l’art, précisément le théâtre et le cinéma, qui l’a aidé à avoir confiance en lui-même et à se sentir bien dans sa peau. Ce qui ne veut pas dire qu’il est sourd aux problèmes des autres.

Au contraire, il avoue que les gens autour de lui sont “stressés, à 90% à cause de la cherté de la vie, des problèmes personnels et professionnels, de la hogra, d’un avenir incertain après tout ce qu’on a traversé”. Heureusement qu’il y a l’art ! “C’est très valorisant et c’est une thérapie”, indique-t-il, sachant que son travail en entreprise lui assure avant tout un salaire. Seulement, avant de trouver la paix intérieure et de se “prendre en main”, Karim est passé par des périodes difficiles et a même sollicité l’aide des psys.

Il lui fallait assumer sa tendance homosexuelle qui s’est déclarée à 23 ans, afin d’affronter une société, ébranlée dans ses certitudes et affolée par les signes de différence. “Au début, j’ai souffert du regard lourd de reproches et haineux des gens. Heureusement, certains collègues étaient très sympas, ce qui fait que je continue à travailler au même endroit. Au fil du temps, ceux que j’incommodais pour ce que je suis ont pris le temps de me connaître et ont changé de comportement envers moi”, expose-t-il. En d’ajouter : “Je suis croyant et je crois au destin et à la destinée. Je vis aussi ma vie comme je l’ai choisie. J’ai appris donc à vivre avec tout ce qui m’entoure, même avec ma solitude.”

Contrairement à Youcef et Karim, des Algériennes et des Algériens recourent à d’autres “recettes” dérivatives, anciennes ou nouvelles, pour marquer leur retour à la vie, meubler leurs vides et parfois pour se protéger. Les uns et les autres manifestent de plus en plus leur intérêt aux excursions ainsi qu’à la décoration des maisons et aux plantes, à la collection de CD et de vidéos (films et chansons), à l’embellissement des balcons ou à l’élevage d’animaux domestiques, notamment les chiens bergers. Les questions de spiritualité et de méditation ne sont pas ignorées par certains.

Hafida Ameyar

25 Responses to “Le bien-être des citoyens (2e partie) : Le sport, l’art et la culture pour réapprendre à vivre”

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