53e anniversaire du 1er novembre : Nous qui sommes appelés à les juger…

Les clameurs de l’automne 1954 ont répondu à l’écho du tumulte de la chute d’Alger, le 5 juillet 1830. Depuis que les 37 000 hommes des troupes colonialistes françaises ont piétiné le sable des plages de Sidi Fredj, les Algériens n’ont, à aucun moment de leur histoire, cessé de braver la bestialité de l’occupant.

Durant dix-sept ans, alors que le pouvoir vénal de la Régence démissionnait en emportant une partie de son trésor, l’émir Abdelkader (dont l’Algérie va bientôt célébrer le bicentenaire de la naissance (septembre 2008) et le 175e anniversaire de sa désignation comme émir (novembre 2007)], conduira la résistance farouche du peuple réel. Jusqu’à l’insurrection de novembre, des révoltes endémiques ont boursouflé l’histoire de l’occupation. Les Algériens ont usé, encore et toujours, en permanence de leur droit inaliénable à la résistance contre un ennemi puissant, impitoyable, mortel. Chaque année, la guerre et la misère prélevaient leur tribut, exigeant d’être réglées cash et en vies humaines. Spolié de ses biens meubles et immeubles, mutilé de sa mémoire, amputé de sa culture, un impôt qui le châtre, son école abolie, sa société désagrégée, l’Algérien était devenu à la fin du XIXe siècle une plaie ouverte, taillée à vif, purulente des rébellions avortées mais recommencées malgré l’échec. Face à lui, du lever au lever, la gueule des canons ou la schlague des prévôts. A chaque avers son revers.

S’il a désappris la joie simple d’être quelqu’un sur la Terre, l’Algérien a, en s’endurcissant, redécouvert les réflexes de survie, de protection et de préservation de ses atavismes dans lesquels s’ancrent les principes d’indépendance et les valeurs qui déifient la liberté. Il renoncera à défier l’ennemi et à l’affronter à l’aide de fourches et de faux, dans des jacqueries meurtrières qui tournaient inévitablement en faveur du colonisateur. Il se fera aux idées-armes du XXe siècle, même si son dominateur l’a maintenu délibérément, et pour cause, dans un état d’ignorance animale. Peu à peu se formera presque dans la clandestinité, à l’insu d’un pouvoir implacable, une élite rustique, timide dans ses revendications, gauche dans ses stratégies et oblique dans ses objectifs. Ces précurseurs sont les pétitionnaires du Constantinois qui ont adressé en 1881 une supplique au Sénat où dix ans plus tard, les habitants de Tlemcen qui signaient un placet contre un projet qui envisageait une naturalisation en masse et l’imposition du service militaire.

C’est aussi Mohamed Ben Rahal (1856-1928), que l’historien Mahfoud Kaddache décrit comme « le plus brillant des musulmans » de sa « génération »qui a su, selon l’historien disparu, « trouver des accents nouveaux pour défendre l’Islam et poser le problème du devenir algérien. Ses discours sur la civilisation musulmane révélaient une foi immense en l’avenir de l’Algérie et du Maghreb tout entier, dont le sort, disait-il, était lié à l’Islam et à sa renaissance ». Ce fils de Nédroma qui a fréquenté le collège Impérial à Alger, démissionnait de son poste de caïd en 1884, il réclamait une véritable représentation dans les institutions. « Vous n’obtiendrez jamais de l’indigène que par l’indigène. Nous voulons un sénateur et un député indigènes nommés par des indigènes »… Parlant de « l’assimilation-fusion », il disait que c’est « une irréalisable utopie ». En 1901, Ben Rahal soutenait que l’Islam était apte à adopter la civilisation moderne, et que si cela était nécessaire, il serait de taille à le faire « malgré lui et contre lui ». Ces illustres inconnus, hélas absents des manuels scolaires, marqueront, comme l’aube marque le début du jour, l’ébranlement de l’histoire du mouvement national.

En général, les historiens situent, en avril 1911, les premières tentatives de politisation des revendications « indigènes ». Plutôt assimilationnistes, elles seront exposées dans le journal Islam. En gros, elles demandaient l’élection des maires, l’extension de l’électorat municipal, des réformes administratives, l’égalité devant l’impôt, etc. Le 3 février 1912, c’est-à-dire à la veille de la Première Guerre mondiale, un décret établissait « la conscription obligatoire ». L’Etat français, comme offre politique nouvelle en direction des Algériens, s’assurait en fait de la disponibilité de la chair à canon en prévision de la boucherie de Verdun. Un « Comité de défense des intérêts musulmans » qui deviendra plus tard « le Manifeste Jeune Algérien » par cousinage aux « Jeunes Turcs », mouvement réformateur ottoman lancé en 1889, dépêcha à Paris en juin 1912, une délégation dirigée par le Dr Belkacem Benthami (1881-1940), conseiller municipal d’Alger qui allait devenir en 1927 président de la Fédération des élus. Il était accompagné de huit autres notables, avocats ou médecins représentants de quelques villes, pour remettre au président Raymond Poincaré un « manifeste » proposant un certain nombre de réformes qu’ils pensaient légitimes, en contrepartie de la décision d’instaurer le service militaire : « Les indigènes d’Algérie sont prêts à remplir vis-à-vis de la mère patrie, tous leurs devoirs de patriotes, mais ils estiment que cette nouvelle charge (la conscription) devrait avoir pour contrepartie une amélioration de leur sort. » (Voir encadré). Le mouvement qui s’engageait au début du siècle passé était principalement animé par une bourgeoisie extraite des anciennes familles féodales, largement favorisées par le système colonialiste, lequel y voyait plutôt des alliés susceptibles de constituer le premier bouclier contre d’éventuelles menaces populaires. Leur pensée politique moutonnante suggérait des revendications sans consistance.

Ils associaient le fez et la cravate et sur leur poitrine couverte d’un double burnous, ils arboraient en général médailles et décorations dont l’occupant était prodigue et à leur main pendouillait un chapelet. Marthe et Edmond Gouvion, chantres du colonialisme tant au Maroc qu’en Algérie, leur consacreront un livre célèbre : Kitab Aâyane el-Marhariba. Mais ceci n’ôte rien à leur mérite de défricheurs. C’était si facile de ne pas voir le malheur et les suppliques manifestes et autres cahiers de doléances, que ces fourriers s’ingéniaient à élaborer, nourrir les poissons d’argent qui peuplent les tiroirs des politiciens, car le sort des « indigènes » d’Algérie ou d’ailleurs, dans toutes les colonies, était la dernière préoccupation des traînards de sabres qui échafaudaient de terribles plans guerriers. Par dizaines de milliers, les Algériens iront mourir, la bouche ouverte, dans les tranchées bourbeuses de France. Ce mouvement va gagner en ampleur et se diversifiera au fil des ans.

Il se ramifiera et gagnera en capillarité, jusqu’à irriguer l’ensemble du pays et de la nation qui se reconnaît dans le mot d’ordre d’indépendance. Mais ce sera loin d’être « un long fleuve tranquille ». La pensée politique algérienne a évolué de façon chaotique. Elle a été tourmentée par la répression permanente du colonialisme et fragilisée par ses contradictions internes et les luttes de clans, car la pratique de la cooptation a toujours prévalu au détriment du fonctionnement démocratique. Mais, ainsi que le relevait fort pertinemment Mabrouk Belhocine dans une interview : « Vous connaissez beaucoup de pays qui ont fait la Révolution avec la démocratie ? » (in Le Monde du 28 octobre 2004).

Lorsqu’on parle de mouvement national, on se réfère souvent à la filière issue de l’Etoile nord-africaine, qui a donné le PPA puis le MTLD et dont quelques militants ont constitué le CRUA puis le FLN. C’est aller vite en besogne et exclure injustement d’autres « parties » et « partis » qui ont contribué à la formation de la philosophie politique qui a conduit à la libération de la domination coloniale. Si l’idée d’indépendance a été portée essentiellement au départ par les patriotes qui se revendiquent de l’héritage de l’ENA, cette dernière n’a pas germé ex nihilo, elle est aussi une gradation dans un processus, dont les origines se perdent dans la résistance protéiforme des Algériens sans exclusive.

Le nationalisme et le patriotisme algérien n’ont pas de papa ! La vision monopolistique du nationalisme et du patriotisme a mis en danger le cheminement de l’action nationale vers une issue libératrice. A la veille du 1er Novembre 1954, le mouvement national subissait une catagenèse due à des luttes de personnes et à l’exclusivisme vers lequel avait mené le culte de la personnalité de Messali Hadj, auquel on continue d’attribuer en dépit du bon sens et de l’ADN de l’histoire, la paternité du mouvement national. Analysant la situation, les auteurs de la proclamation du 1er Novembre relevaient : « C’est ainsi que notre mouvement national, terrassé par des années d’immobilisme et de routine, mal orienté, privé du soutien indispensable de l’opinion populaire, dépassé par les événements, se désagrège progressivement à la grande satisfaction du colonialisme, qui croit avoir remporté la plus grande victoire de sa lutte contre l’avant-garde algérienne ».

« L’heure est grave ! », poursuit ce texte fondateur, avant de tirer les conséquences : « Devant cette situation qui risque de devenir irréparable, une équipe de jeunes responsables et militants conscients, ralliant autour d’elle la majorité des éléments encore sains et décidés, a jugé le moment venu de sortir le mouvement national de l’impasse où l’ont acculé les luttes de personnes et d’influence, pour le lancer aux côtés des frères marocains et tunisiens dans la véritable lutte révolutionnaire. » Les hommes historiques qui ont pris la responsabilité du déclenchement de la lutte armée s’ils se revendiquent du PPA-MTLD, s’en démarquent quant à la démarche et marquent leur rupture vis-à-vis des « centralistes » et des « Messalistes », puisqu’ils proclament dans la déclaration : « Nous tenons à cet effet à préciser que nous sommes indépendants des deux clans qui se disputent le pouvoir. » Mais les autorités coloniales persisteront dans leur entêtement à croire, que les responsables de l’insurrection sont les « habitants » de leurs fichiers de police.

Elles s’empresseront « dès l’heure légale des perquisitions », d’investir les permanences du MTLD et de procéder à l’arrestation des militants de ce parti lesquels, à l’évidence, avaient été eux aussi pris de court par les insurgés. A leur libération, quelques semaines après pour les uns et quelques mois pour les autres, ils ne pouvaient pas, à l’évidence, se démarquer de l’action qui venait d’être engagée. Ils se sont pour l’écrasante majorité rangés dans du côté du FLN. Celui-ci allait devenir le creuset dans lequel s’est fondu tout ce que le mouvement national comportait comme forces vives. Indépendamment des idées politiques des uns ou des autres, il allait réunir sous sa bannière tous les Algériens puisqu’il déclarait : « Notre action est dirigée uniquement contre le colonialisme, seul ennemi et aveugle, qui s’est toujours refusé à accorder la moindre liberté par des moyens de lutte pacifique. »

Sources :

- Proclamation du 1er Novembre 1954
- Emir Khaled. Lettre à Wilson et autres textes. Editions ANEP. Alger 2005.
- Mahfoud Kaddache. Histoire du nationalisme algérien. Question nationale et politique algérienne 1919-1951. Tome I. SNED Alger 1980.
- Messali Hadj par les textes. Textes choisis par Jacques Simon. Editions Bouchène. 2000.
- René Galissot. Algérie colonisée, Algérie algérienne (1870-1962). La République française et les indigènes. Barzakh. Alger 2007.
- Achour Cheurfi. La classe politique algérienne de 1900 à nos jours. Casbah éditions. Alger 2001.

Boukhalfa Amazit

29 Responses to “53e anniversaire du 1er novembre : Nous qui sommes appelés à les juger…”

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