Vous venez de signer tous les deux des ouvrages initiatiques. Une quête de votre pierre de touche, votre Graal…
Mustapha Benfodil : Je ne sais pas si on peut considérer Archéologie du chaos (amoureux) comme un roman d’initiation. Le roman s’ouvre sur l’adolescence du narrateur qui fait la plus grande découverte de ses 17 ans : le mystère du corps féminin par le biais de sa « très belle-mère », la sulfureuse Kheïra qui lui donnera ses premières leçons de (mauvaise) éducation sentimentale. Suivra un autre mentor, pour une quête autrement plus excitante : le « Professeur Impossible » qui va le jeter dans les bras de l’Univers après l’avoir initié à la passion algébrique du monde.
Chawki Amari : Dans mon dernier livre, je relate la quête de quelqu’un, qui est un peu la mienne. Pourquoi n’y a-t-il rien d’autre que du pétrole quand on creuse le sous-sol algérien ? Pas de traces archéologiques, pas de témoignages d’une vie passée, rien. Les Algériens n’existent-ils que depuis Sonatrach ?
Au commencement, pour l’un, c’est le big bang et pour l’autre, le trou noir qui n’est pas stellaire mais dunaire…
M. B. : La vue de la « Chose », la « Sublime Plaie », par le narrateur, provoque chez lui un « tremblement de chair ». A son échelle du Cosmos, cela va être effectivement son big bang personnel qui déclenchera la réaction en chaîne de son dérèglement des sens, le plongeant dans un état où chaos et Eros n’auront de cesse de s’engendrer l’un de l’autre.
C. A. : Les astrophysiciens qui ont inventé le big bang sont les mêmes qui ont inventé les trous noirs. Ce sont des théories qui sont censées rendre compte de la création de l’univers. Le premier est la lampe qui a inventé la lumière, les seconds sont des mangeurs de lumière. Mais qui a inventé la mayonnaise ?
Le thème (t’aime) vous fédérant : l’amour (acception physiologique, psychique, onirique, vache…) chaotique, cahoteux… Un anathème ?
M. B. : Un foutoir à thème… L’amour et la mort. Cadavres érotiques. Sexes palimpsestes. « Cocu-fictions » et inceste. Plan biscornu d’une révolution rose où il est question d’un « commando d’insémination des filles du système ». C’est le bordel général. Partouze de sens et de non-sens. Le chaos affectif est total. Tout le roman est parcouru de « courts-circuits » amoureux qui électrisent sans cesse les personnages et attisent leurs frustrations. Du coup, leur énergie (sexuelle) refoulée se transforme en cocktail Molotov fabriqué avec le concentré de leur libido avariée.
C. A. : L’amour et son contraire intime, la haine, expliquent en Méditerranée, à peu près tout. En Algérie, il explique la guerre, la politique, la revanche, la terre et les conflits de pouvoir, le sang et la sensualité. Il explique tout, sauf la mayonnaise.
Dans vos livres, vous exploitez l’espace immédiat, urbain et saharien…
M. B. : Il y a effectivement un côté « roman urbain » fait de références à la vie dans les caves glauques d’Alger, la vie dans les campus, la vie nocturne, les incursions du narrateur dans les milieux interlopes algérois, sa vie de bohème, les virées dans l’Alger des bas quartiers, l’Alger des couvre-feux, l’Alger des marginaux, l’underground algérois en somme. Mais au-delà de cet ancrage topographique, je revendique pleinement un côté « culture urbaine » fait de langage « jeune », populo, décalé, porté par un « Comité d’insolence » agglutiné autour de Emile Yacine. Il explore les codes des jeunes, ceux des ghettos aussi bien que la « tchitchi ». Le texte est truffé de références au slam, au rap, au chaâbi, et la partie graphique du roman est un clin d’œil évident, je dirais même un hommage aux graffiti, aux tags, aux blagues, aux gros mots, au vomis sur les murs. Tout cela se résume dans ce que j’appellerais « la pop littérature ». Le roman se nourrit donc de toute cette « subculture » des quartiers, cette culture « houmiste » incarnée par le « Manifeste du Chkoupisme » qui pose les jalons d’un interventionnisme artistique subversif mené par un groupe d’agitateurs urbains baptisé « Les Anartistes ».
C. A. : L’Algérie est un grand pays, au sens géographique. Elle est pourtant petite, au sens de la vision générale. Entre les deux approches, il y a des espaces absurdes et pleins de bon sens qu’il faut fouiller, comme dans un champ de sachets noirs où l’on peut trouver des piles qui marchent encore.
Vous avez en commun l’usage du name-dropping (noms et référents, Rimitti, Bukowski, Nabokov) qu’utilisent les rappeurs…
M. B. : Dans tous mes romans, mes choix « onomastiques » se sont toujours faits dans le sens d’une identification par le surnom, le sobriquet, le référent littéraire ou mythologique. Parfois, certains de ces noms propres sont paresseusement et bêtement fonctionnels. Sinon, l’état civil de mes personnages joue sur le grotesque, la caricature (Abou Kalypse). Il y a un côté « BD » qui m’amuse beaucoup dans l’octroi des noms. Parfois, c’est angoissant. Dans l’histoire de la littérature universelle, il y a des noms entiers qui sont devenus des archétypes, des codes, des raccourcis esthético-idéologiques. Je pense par exemple à Monsieur Plume d’Henri Michaux, Mohamed SNP de Boudjedra, Lolita de Nabokov ou encore Fouroulou de Mouloud Feraoun. Je joue beaucoup sur les mélanges et me joue des identités, comme « Alfred Djelloul Bensimson », le père arabo-franco-juif de Ouali Ben Oualou dans Les Bavardages du Seul .
C. A. : Les noms sont faits pour ne pas être oubliés. Sinon, on aurait tous des numéros. On connaît le numéro 1 en Algérie, mais qui est le dernier ?
Des clins d’œil…
M. B. : Oui, ça fonctionne aussi comme des clins d’œil, comme « Léo Fêlé » dans Archéologie… Cela souligne également l’ancrage du roman en termes d’intertextualité.
C. A. : A tous les déserts du monde, où vivent tous ces gens qui se sentent si seuls dans l’univers. Ou à tous les ophtalmologues qui rendent la vie plus claire, ça marche aussi.
Quel est votre impératif ?
M. B. : Eviter le « Prix poubelle ».
C. A. : Lis, au nom de Dieu. Ou un autre. Mais lis quand même.
Votre subjonctif…
M. B. : Composer le « Kama Soustara » pour paraphraser mon ami le comédien Samir El Hakim, dussé-je essuyer les foudres de ma chère femme. C. A. : Quelle heure faille-t-il être se lever pour ne pas puisse avoir été en retard à la réunion ?
Vous êtes journalistes et auteurs. Vous êtes cursifs ou scripts ?
M. B. : Par moments, le littérateur et le journaliste qui cohabitent sous mon nom prennent un pot sans s’entretuer. Cursif ou script ? Disons que je suis passé par tous les stades darwiniens de l’écriture : cahiers d’écolier, machine à écrire type PV de gendarmerie, machine électrique vers l’âge proto-informatique, puis vint tout naturellement l’âge de la souris et de la puce intelligente. Qui sait ? La prochaine étape, ce sera peut-être le e-book ou le « bip-book ». La littérature anorexique nous renverra bizarrement vers le morse et la sténo. Qui a dit que l’Histoire ne se mangeait pas la queue ?
C. A. : Vous pouvez répéter la question ?
Vous êtes Yin ou Yang ?
M. B. : Une minute : je vérifie ma polarité..
C. A. : Ni République intégriste ni Etat policier. Encore moins une Algérie sous domination chinoise. En plus, la question est mal posée puisqu’en Algérie, comme dans toute l’Afrique, on n’est pas binaire mais on fonctionne en ternaire, suivant des cycles de trois. Le 6/8 en musique, les trois jours d’hospitalité, du vent de sable ou du nombre de mandats présidentiels.
Avez-vous des tics ou tocs en écriture extra-journalistique ?
M. B. :J’arpente l’appartement dans tous les sens tel un fauve en cage. Je peux faire dix kilomètres ainsi à tourner en rond sous l’abribus de l’inspiration qui ne se pointe pas, appuyant sur « delete » sitôt ayant cru avoir attrapé le truc.
C. A. : Quand j’écris, je pense souvent à mon compte en banque. Je tremble quand je pense que je gagne encore 15 000 DA par livre.
Au vu de vos atomes crochus, vous pourriez écrire un livre à quatre mains. Quel en serait le titre ?
M. B. : Excuzator.
C. A. : Les 20 doigts qui n’ont pas ébranlé l’Algérie.
Le faiseur de trous de Chawki Amari Roman/138 pages/Editions Barzakh/2007 Archéologie du chaos (amoureux) de Mustapha Benfodil Roman/250 pages/Editions Barzakh/2007
K. Smaïl